Le 20 avril 1924, il y a 97 ans, naissait Dr. Guy Rocher, éminent sociologue et juriste Québécois. Outre ses innombrables réalisations, succès et initiatives, Dr. Rocher m’a personnellement beaucoup inspiré dans l’élaboration de mes recherches sur le droit d’auteur numérique. Mais il y a un point, un passage, qui m’a collé en arrière de la tête. Cette petite réflexion concernant les jeux comme ordre juridique :
4.2. Les ordres juridiques ludiques
Le jeu, dès qu’il implique la participation de deux personnes ou plus, appelle une réglementation, qu’il s’agisse d’une partie de cartes à laquelle participent deux, trois, quatre joueurs ou plus, ou de sports comme le football, le baseball, le hockey, ou encore les compétitions sportives en ski, en patin, sur des trapèzes. Tous les jeux exigent en effet que les participants connaissent les règles du jeu, les observent ; cela suppose aussi que ces règles aient été édictées par quelque autorité, qu’un arbitre ou un juge soit autorisé à les interpréter au besoin et qu’une autorité puisse les faire respecter et imposer des sanctions. C’est dire que le jeu appelle un ordre juridique propre.
L’ordre juridique ludique peut être très simple. Quatre personnes s’attablent pour une partie de cartes. L’une d’elles peut être acceptée comme celle qui connaît les règles, les interprète et les applique. À l’autre pôle, les quatre joueurs peuvent se comporter comme le législateur qui définit les règles et le tribunal qui les interprète et les applique. S’il n’y a pas un accord, au moins implicite, sur un tel ordre juridique, les joueurs risquent d’être confrontés rapidement à des problèmes insolubles; la partie ne pourra durer très longtemps. Par exemple, si deux joueurs s’érigent tous les deux en législateurs et en juges, mais se réfèrent à des règles différentes, l’ordre juridique sera trop conflictuel pour fonder un club de cartes stable. La stabilité d’un club de cartes dépend de la reconnaissance par tous ses membres de l’ordre juridique qui les régit.
L’exemple du club de joueurs de cartes se situe peut-être à la limite de l’existence d’un ordre juridique ; il peut servir à illustrer l’ordre juridique le plus simple ou le plus élémentaire que l’on puisse trouver. Par ailleurs, tous les sports, surtout les sports publics, ont un ordre juridique beaucoup plus complexe qu’un club de cartes. Il suffit de penser à des sports comme le hockey, le baseball, le football, ou encore aux grandes compétitions sportives, les Jeux Olympiques ou les joutes pour une coupe internationale ou nationale. On y observe un droit privé qui définit très explicitement, par écrit, les règles primaires à observer dans le jeu. Il précise également les règles secondaires : à qui sont confiées les fonctions de législateur, d’interprète, déjuge, de policier et comment chacun de ceux-ci doit exercer ses fonctions. C’est en vertu de cet ordre juridique interne, non étatique, que des joueurs délinquants sont, par exemple, exclus du jeu pour quelques minutes ou condamnés à une sorte d’exil pour plusieurs parties, voire à payer des amendes*.
* Citation no. 25, indiquant ce qui suit: Voir notamment, sur la régulation des sports, le numéro de Law and Contemporary Problems, 38(1973), n° 1, consacré à « Athletics » et en particulier dans ce numéro l’article de H.M. CROSS, «The College Athlete and the Institution», p. 151-171.
Source: Rocher, Guy. 1988. « Pour une sociologie des ordres juridiques ». Les Cahiers de droit, vol. 29, no. 1, p. 91‑120, à la p.110 https://doi.org/10.7202/042870ar.
Joyeux anniversaire Dr. Rocher, j’espère jouer la norme en votre honneur !